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Par silivren le 30 Septembre 2013 à 19:52
Alors qu’Elisabeth Ire régnait sur l’Angleterre, un affreux dragon nichait dans une caverne nommée Wantley et répandait la terreur sur Wortley, le petit village voisin. Sa puissance était effroyable : sa gueule s’ouvrait sur des crocs plus solides que l’acier, son corps était couvert d’une peau aussi épaisse que celle d’un buffle et sa longue queue, qu’il utilisait comme un fouet, se terminait par un dard venimeux. Il possédait encore deux puissantes ailes, des pattes griffues, et l’on prétend qu’il était aussi grand que le cheval de Troie, qui contenait pourtant 70 hommes dans son ventre !
Cette bête cruelle multipliait les méfaits dans la région, dévorant le bétail et les enfants, ravageant les forêts et les cultures. Les habitants, désemparés, finirent par s’adresser au plus vaillant chevalier de la région : More de More Hall, qui était également réputé pour son goût prononcé envers les belles demoiselles. More accepta de se charger du monstre, mais à une condition : une donzelle à la peau de nacre et aux cheveux de jais devait le rejoindre la veille du combat, afin d’enduire son corps d’huile et l’aider à s’habiller. Pour l’occasion, il se fit aussi tailler une armure particulière, impénétrable et entièrement recouverte de pointes acérées.
La veille du combat, la plus jolie brune du village le rejoignit comme convenu. Au matin, More se leva étonnamment tard et il avait l’air bien peu reposé… Pour se ragaillardir, il avala six pintes de bière et un litre d’eau-de-vie, puis il enfila son armure avec l’aide de la belle et s’en fut à la rencontre du dragon. Ainsi vêtu, il ressemblait à quelque porc-épic exotique et effrayait tous ceux qui le croisaient. Il se cacha dans un puits où l’animal avait l’habitude de s’abreuver, et lorsque ce dernier survint, il en jaillit et lui donna un coup de pied dans la figure. Le dragon hurla de douleur, cria au meurtre, insulta le chevalier, trembla de tout son corps, tomba à genoux, puis à terre et finalement… mourut. More, couvert de gloire, s’empressa de retourner entre les bras de la demoiselle qui l’attendait.
L'histoire du dragon de Wantley est issue d'un poème satirique anonyme du XVII ème siècle. On le connaît grâce à l'évêque et homme de lettres Thomas Percy, qui l'inclut dans son recueil « Reliques d'ancienne poésie anglaise » (1765). Rédigé en vers, ce texte est une version parodique des traditionnelles légendes médiévales à propos d'un chevalier, de sa belle et d'un dragon. Ce poème est aussi une transposition des mésaventures des habitants d'un véritable petit village du sud du Yorkshire. Ceux-ci étaient exploités par sir Francis Wortley, l'évêque de leur diocèse, qui exigeait des impôts démesurés. Ils refusèrent de se soumettre, poursuivirent l'évêque avec l'aide d'un avocat et obtinrent gain de cause. Le poème se moque ainsi de l'homme d'Eglise trop cupide en l'assimilant à un dragon, mais aussi de l'avocat, incarné par More de More Hall, un chevalier un peu trop porté sur la boisson et la bagatelle.
En 1737, un opéra burlesque fut tiré de la légende du dragon de Wantley par le dramaturge Henry Carey et remporta un succès phénoménal: la pièce tint la scène jusqu'en 1782. Cette version, plus grotesque encore que le poème original, est à la fois une satyre des opéras classiques et une critique indirecte de la politique fiscale alors en vigueur. More de More Hall y est présenté comme un ivrogne lubrique, qui s'interrompt à peine dans les beuveries et les polissonneries pour aller chasser le dragon. Ce dernier, fort peu élégant, déverse sur More des tombereaux d'excréments sur la tête lorsque celui-ci l'attaque, puis fait entendre de terribles gargouillis intestinaux. More ne l'abat pas, mais se contente de le chasser en lui donnant un solide coup de pied dans le derrière, qui lui fait encore lâcher quelques déjections... Une fin bien piteuse pour un monstre de carnaval!
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